" Avant d’aller plus loin, et pour anticiper sur ce que je vais dire à propos de la crise identitaire provoquée par la perte de l’objet qui en était le socle, je ferai remarquer le lien qui unit le sentiment d’être quelqu’un ou un écureuil, si la chose était possible avec celui d’avoir quelqu’un ou quelque chose.
L’objet jadis désiré ne l’est plus au fond, n’a plus besoin de l’être, dès lors qu’il est entré en ma possession sans cesser pour autant d’être aimé.
Force est d'admettre que, aimer est désirer – c’est là tout le problème, le point discutable et qui n’est pas discuté – il s’ensuit qu’aimer est manquer de ce qu’on aime, puisque désirer est manquer de ce qu’on désire.
Mais l’objet réellement aimé, celui qui fonde l’identité personnelle ou l’identité d’emprunt, consiste à tenir pour assuré qu’on est aimé de qui on aime et ne relève plus du manque puisqu’il n’a plus besoin d’être désiré, étant déjà obtenu : car il est désormais à moi (ou du moins tenu pour tel), appartient à mes terres, à mon lit ou à mon grenier.
L'exemple de l’écureuil, dit bien cette idée de possession impliquée par l’idée d’existence personnelle : les noisettes ne me dotent pas seulement d’une existence, ils constituent aussi mes provisions, - provisions dans lesquelles il m’est loisible de puiser pour assurer ma subsistance, c’est à dire la continuité de mon existence.
Un personnage de L’avare de Molière remarque dans un passage de la pièce que son maître, Harpagon, parle de sa cassette comme s’il parlait d’une maîtresse ; tant il est vrai qu’Harpagon a fini par identifier complètement les idées de possession et d’amour. De plus, Harpagon, de manière significative et qui confirme le bien-fondé de la thèse générale soutenue ici, associe aussi cette notion d’amour/possession à celle d’identité personnelle, comme il le déclare formellement lui-même dans la fameuse tirade qui fait suite à la découverte de la disparition de sa cassette : « Mon esprit est troublé, et j’ignore où je suis, qui je suis et ce que je fais. »
De la même façon dans l’Andromaque de racine, Oreste, abreuvé d’insultes et définitivement chassé par la femme qu’il aime, exprime son désarroi par l’expression d’un doute identitaire :
« Que vois-je ? Est-ce Hermione ? Et que viens-je d’entendre ?
Pour qui coule ce sang que je viens de répandre ?
Je suis, si je l’en crois, un traître, un assassin.
Est-ce Pyrrhus qui meurt ? Et suis-je Oreste enfin ? »
La perte de l’objet aimé/possédé (ou perçu comme tel) entraine en effet automatiquement
le naufrage d’une identité qu’on considérait comme un bien personnel alors qu’il n’était qu’un bien d’emprunt, entièrement tributaire de l’amour de l’autre.
L'exemple de l’écureuil, dit bien cette idée de possession impliquée par l’idée d’existence personnelle : les noisettes ne me dotent pas seulement d’une existence, ils constituent aussi mes provisions, - provisions dans lesquelles il m’est loisible de puiser pour assurer ma subsistance, c’est à dire la continuité de mon existence.
Un personnage de L’avare de Molière remarque dans un passage de la pièce que son maître, Harpagon, parle de sa cassette comme s’il parlait d’une maîtresse ; tant il est vrai qu’Harpagon a fini par identifier complètement les idées de possession et d’amour. De plus, Harpagon, de manière significative et qui confirme le bien-fondé de la thèse générale soutenue ici, associe aussi cette notion d’amour/possession à celle d’identité personnelle, comme il le déclare formellement lui-même dans la fameuse tirade qui fait suite à la découverte de la disparition de sa cassette : « Mon esprit est troublé, et j’ignore où je suis, qui je suis et ce que je fais. »
De la même façon dans l’Andromaque de racine, Oreste, abreuvé d’insultes et définitivement chassé par la femme qu’il aime, exprime son désarroi par l’expression d’un doute identitaire :
« Que vois-je ? Est-ce Hermione ? Et que viens-je d’entendre ?
Pour qui coule ce sang que je viens de répandre ?
Je suis, si je l’en crois, un traître, un assassin.
Est-ce Pyrrhus qui meurt ? Et suis-je Oreste enfin ? »
La perte de l’objet aimé/possédé (ou perçu comme tel) entraine en effet automatiquement
le naufrage d’une identité qu’on considérait comme un bien personnel alors qu’il n’était qu’un bien d’emprunt, entièrement tributaire de l’amour de l’autre.
Clément Rosset, Loin de moi, aux Editions de Minuit, 1999, pp 66-69.
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