"Le vrai danger, mon fils, se nomme l'indifférence." Elie Wiesel
Au premier abord l'indifférence semble indiquer seulement un manque : c'est l'état de celui qui n'éprouve ni douleur, ni plaisir, ni désir, ni crainte. L'indifférence ne serait qu'insensibilité, incapacité à aimer qui confinerait à l'anorexie (littéralement : absence de désir) et à l'apathie (absence de passion).
On pourrait entendre dans la notion d'indifférence (et dans l'attitude de l'indifférent) le signe d'un rapport difficile avec la différence : une incapacité à changer, à se laisser changer par l'émotion (ce qui nous met en mouvement), mais aussi la négation de la différence, l'enfermement sur soi. Indifférence et égocentrisme seraient donc liés.
Un problème se pose ici : l'indifférence porte-t-elle toujours sur ce qui est différent de moi ? Peut-on être indifférent à soi ? On sait que le sujet anorexique peut se laisser mourir, mais s'il est indifférent à l'état de son corps, il ne l'est pas à l'image idéale qu'il a de lui-même...
De plus, on peut se demander s'il n'est pas nécessaire d'être indifférent au malheur des autres pour être heureux ? Que l'on ne se raconte pas d'histoires : le spectacle de la famine au journal télévisé n'empêche pas grand monde de continuer son repas ; la vraie question est l'inverse : peut-on être vraiment heureux en étant indifférent au malheur des autres ?
Cependant la définition de l'indifférence comme état de celui qui n'éprouve ni douleur, ni plaisir, ni désir, ni crainte, peut être entendue tout à fait différemment. Ces termes ont été utilisés par bien des traditions philosophiques pour indiquer l'état parfaitement équilibré du sage. Si cette définition est négative, c'est qu'elle désigne une positivité extrême qui dépasse de loin ce qui fait le quotidien de nos existences. L'indifférence ici ne serait pas manque de sensibilité à l'égard des souffrances des autres, et manque d'appétit de vivre, mais au contraire amour inconditionnel de la vie et compassion envers tous.
Le sage épicurien ne cherche pas tous les plaisirs, contrairement à l'image commune, il est dans le plaisir d'exister, plaisir en repos qui est absence de douleur. Son amour de la vie ne s'enracine pas dans la peur de mourir, il n'est pas inquiet de la mort toujours possible parce qu'il ne désire pas vivre éternellement : le présent lui suffit.
Et si le sage stoïcien ne connaît ni la crainte ni l'espoir, c'est qu'il sait qu'il n'y a que le présent qui existe (or crainte et espoir portent sur l'avenir). Il a appris à discerner ce qui dépend de lui, le reste est indifférent. Le sage est plus occupé à agir sur ce qui dépend de lui, qu'à espérer et à craindre ce qui lui est étranger. Ce n'est pas qu'il soit indifférent aux autres ; si le sage est apathique (sans passion), il n'en ressent pas moins la sympathie universelle qui l'unit à tout. Il est "citoyen du monde" parce qu'il reconnaît et accepte la différence et le changement partout.
Alors l'indifférence : qualité ou défaut ?
Il y a plusieurs façons d'être indifférent.
Indiciblement, le brouillard submerge la ville, étouffant le coeur des hommes jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un muscle battant au rythme de sa survie.
Que dire d'un coeur qui battrait sans émotion, sans amour ? Que celui qui le porte n'existe déjà plus. Tant aimer, pour un coeur, lui est indispensable à sa justification d'existence.
Un ciel gris traînant ses nuages nonchalants, mélancoliques, d'une journée ordinaire, pluvieuse et froide d'un novembre déjà oublié. Quelques ombres encapuchonnées, sur ce boulevard brillant de solitude où ne fleurissent que de noirs parapluies, se hâtent vers un peu de chaleur et de rassurante tranquillité.
Avec la fin de la journée, faisant les comptes de ses malheurs du jour, le monde a gardé le dernier en mémoire, comme la retenue d'une sinistre addition de miséreux et de laissés pour compte d'une société pour qui l'homme apparemment n'existe plus tant son malheur lui est indifférent.
Ceux qui ont pu échapper, pour combien de temps, au tourbillon des mauvais événements quotidiens, sont des chanceux, privilégiés d'un moment. Car demain sera peut-être leur tour. Qui peut savoir ? Le bonheur n'est jamais acquis, il se conquiert chaque matin.
La majorité de l'humanité souffre en silence. Qui s'en soucie ? Une minorité agissant à la manière d'un "fou" qui voudrait vider la mer avec un récipient percé.
Un ciel gris traînant ses nuages nonchalants, mélancoliques, d'une journée ordinaire, pluvieuse et froide d'un novembre déjà oublié. Quelques ombres encapuchonnées, sur ce boulevard brillant de solitude où ne fleurissent que de noirs parapluies, se hâtent vers un peu de chaleur et de rassurante tranquillité.
Avec la fin de la journée, faisant les comptes de ses malheurs du jour, le monde a gardé le dernier en mémoire, comme la retenue d'une sinistre addition de miséreux et de laissés pour compte d'une société pour qui l'homme apparemment n'existe plus tant son malheur lui est indifférent.
Ceux qui ont pu échapper, pour combien de temps, au tourbillon des mauvais événements quotidiens, sont des chanceux, privilégiés d'un moment. Car demain sera peut-être leur tour. Qui peut savoir ? Le bonheur n'est jamais acquis, il se conquiert chaque matin.
La majorité de l'humanité souffre en silence. Qui s'en soucie ? Une minorité agissant à la manière d'un "fou" qui voudrait vider la mer avec un récipient percé.
Merveilleuse utopie. La détresse est profonde, abyssale comme un fond d'océan. Les rivières qui s'y jettent se prénomment : misère et solitude, elles ont pour estuaires, l'exclusion. Elles prennent leur source dans l'indifférence, ce vestibule de l'oubli, cette antichambre du mépris.
Les meilleurs d'entre les hommes, essaient, avec obstination, de leur faire barrage. Ils élèvent des digues impuissantes. Ils tentent de détourner des cours inéluctables. Rien n'y fait. On taille, on coupe, on étête, on déplace, on façonne, on troue, on colmate, on aménage. Fondamentalement, on croit ne rien changer, et pourtant les idées font leur chemin, tracent leur sillon. Il leur faut seulement du temps.
Est-ce à dire que sur l'instant il n'y aurait rien à faire ? Que tenter de boucher "la source" ne ferait que détourner son cours ? Qu'elle rejaillirait ailleurs, souterraine, incontrôlable et boueuse ? Accepter cela ne serait-il pas une reconnaissance implicite de l'incapacité de l'homme à pouvoir, à terme, dominer ses problèmes en les considérant comme des fatalités incontournables et qu'il n'y aurait pas d'autres choix que de devoir les subir indéfiniment ?
Je ne le crois pas. Avec le temps, de la volonté, du courage, de l'abnégation et beaucoup d'amour, on ne peut que réussir.
L'opacité des sentiments qui rend insensible, imperméable, indifférent au malheur, agit comme un mauvais vaccin ou un soporifique. L'humour ne perdant jamais ses droits, et le premier degré ayant parfois plus de sens qu'il n'y parait, il s'ensuit alors la longue litanie du : "on peut ne pas, il suffit de".
On peut ne pas en parler, il suffit de ne rien dire !
On peut ne pas s'engager, il suffit de laisser faire !
On peut ne pas voir, il suffit de fermer les yeux.
On peut ne pas comprendre, il suffit de rester "simple".
On peut ne rien finir, il suffit de ne pas commencer !
En fait, on peut revenir de tout, il suffit de ne pas y aller !
On peut, jusqu'à plus soif, se dire que d'autres font "quelque chose" que cela devrait être suffisant et que de toutes manières, quelques verres de plus ou de moins ne changeraient rien à l'affaire. Rien n'est moins sûr.
L'idée la plus répandue est que : quelques millions d'hectolitres de moins dans cette immensité douloureuse, ne fera pas baisser le niveau trouble de ses eaux. C'est possible, mais cela ne m'empêchera pas de penser et de croire que des solutions existent et que les hommes qui cherchent, finiront bien par trouver un jour.
En attendant on doit continuer avec "force" et "vigueur", avec les fous et les rêveurs, les sages et les poètes, de tenter de vider "la mer" pour combattre, sans relâche, cette pourriture de l'âme qu'est l'indifférence. La réussite n'est qu'une conséquence heureuse. L'important est d'avoir tenté quoiqu'il arrive.
Ne penser qu'à soi, à l'évidence, évite de penser aux autres.
Il y a pire que "mal faire" : Ne rien faire.
Les meilleurs d'entre les hommes, essaient, avec obstination, de leur faire barrage. Ils élèvent des digues impuissantes. Ils tentent de détourner des cours inéluctables. Rien n'y fait. On taille, on coupe, on étête, on déplace, on façonne, on troue, on colmate, on aménage. Fondamentalement, on croit ne rien changer, et pourtant les idées font leur chemin, tracent leur sillon. Il leur faut seulement du temps.
Est-ce à dire que sur l'instant il n'y aurait rien à faire ? Que tenter de boucher "la source" ne ferait que détourner son cours ? Qu'elle rejaillirait ailleurs, souterraine, incontrôlable et boueuse ? Accepter cela ne serait-il pas une reconnaissance implicite de l'incapacité de l'homme à pouvoir, à terme, dominer ses problèmes en les considérant comme des fatalités incontournables et qu'il n'y aurait pas d'autres choix que de devoir les subir indéfiniment ?
Je ne le crois pas. Avec le temps, de la volonté, du courage, de l'abnégation et beaucoup d'amour, on ne peut que réussir.
L'opacité des sentiments qui rend insensible, imperméable, indifférent au malheur, agit comme un mauvais vaccin ou un soporifique. L'humour ne perdant jamais ses droits, et le premier degré ayant parfois plus de sens qu'il n'y parait, il s'ensuit alors la longue litanie du : "on peut ne pas, il suffit de".
On peut ne pas en parler, il suffit de ne rien dire !
On peut ne pas s'engager, il suffit de laisser faire !
On peut ne pas voir, il suffit de fermer les yeux.
On peut ne pas comprendre, il suffit de rester "simple".
On peut ne rien finir, il suffit de ne pas commencer !
En fait, on peut revenir de tout, il suffit de ne pas y aller !
On peut, jusqu'à plus soif, se dire que d'autres font "quelque chose" que cela devrait être suffisant et que de toutes manières, quelques verres de plus ou de moins ne changeraient rien à l'affaire. Rien n'est moins sûr.
L'idée la plus répandue est que : quelques millions d'hectolitres de moins dans cette immensité douloureuse, ne fera pas baisser le niveau trouble de ses eaux. C'est possible, mais cela ne m'empêchera pas de penser et de croire que des solutions existent et que les hommes qui cherchent, finiront bien par trouver un jour.
En attendant on doit continuer avec "force" et "vigueur", avec les fous et les rêveurs, les sages et les poètes, de tenter de vider "la mer" pour combattre, sans relâche, cette pourriture de l'âme qu'est l'indifférence. La réussite n'est qu'une conséquence heureuse. L'important est d'avoir tenté quoiqu'il arrive.
Ne penser qu'à soi, à l'évidence, évite de penser aux autres.
Il y a pire que "mal faire" : Ne rien faire.
Lettre à Adèle janvier 1820
[ Victor Hugo ]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire